A Renneville (Eure), près de Fleury-sur-Andelle, Thierry et Yann Bertot sont éleveurs laitiers depuis quatre générations. De l’alimentation de leurs vaches en passant par le travail du sol, les deux frères font tout pour limiter leur empreinte carbone. Une démarche qui séduit également leurs fils, futurs repreneurs.
En ce début d’automne, tout juste sorties de la traite, les 90 vaches laitières de Thierry et Yann Bertot rejoignent la prairie, située juste derrière le corps de ferme. Huit mois de l’année, c’est ici qu’elles passent le plus clair de leur temps. "L’herbe a un grand avantage : elle apporte de l’énergie et des protéines", détaille Thierry.
Une alimentation équilibrée sur laquelle Thierry et Yann travaillent : "Dans cette prairie que nous avons replantée récemment, nous avons mis du trèfle pour capter l’azote de l’air et donc limiter l’utilisation d’engrais. Nous avons aussi ajouté des légumineuses qui apportent des protéines".
Lors des mois les plus froids, lorsqu’elles ne sont pas au pré, les vaches sont nourries avec le maïs cultivé sur la ferme. "Le maïs est pauvre en protéines, il faut donc compléter la ration de notre troupeau", précise l’éleveur. "Avant nous utilisions du tourteau de soja, importé du Brésil, qui traversait l’océan Atlantique pour venir jusqu'à chez nous. Désormais, nous achetons du tourteau de colza, qui est cultivé et transformé localement".
Là encore, ce choix stratégique permet de limiter leur empreinte carbone. "En utilisant du colza, nous réduisons de 9 tonnes nos rejets de CO2 sur l’année. Cela représente une réduction de 8% de nos émissions", calcule l’agriculteur.
L’aventure bas carbone a commencé il y a une quinzaine d’années dans la famille Bertot. A l’époque, l’Institut de l’élevage propose aux fermes volontaires de réaliser un bilan carbone.
Thierry et Yann sont tentés par l’aventure. "A l’époque, le bilan carbone moyen d’une ferme laitière en France était de 1 kg équivalent CO2 / litre de lait produit. L’objectif que se fixait alors la filière était de réduire de 20% ces émissions d’ici 2025. Nous, nous étions déjà à 0,76 Kg équivalent CO2 / litre de lait", se souvient Thierry.
En France, dans un élevage laitier, les émissions de gaz à effet de serre sont essentiellement liées au méthane produit par les vaches en ruminant. "Il est responsable en moyenne de la moitié des gaz à effet de serre d’une ferme laitière", précise Thierry.
Mais l’élevage bovin sans émission de méthane est mission impossible. "En revanche, nous pouvons faire en sorte de réduire le nombre de vaches improductives, c’est-à-dire le nombre de vaches qui ne produisent pas de lait tout en continuant à émettre du méthane", explique le plus âgé des deux frères.
Un animal malade produisant moins de lait, les deux éleveurs sont attentifs au bien être de leur troupeau. Les boiteries, l’une des pathologies les plus fréquentes chez les bovins, sont un sujet permanent d’attention. "Dans notre hangar, les vaches avaient tendance à glisser sur le sol en béton vieillissant. Nous avons donc scarifié la surface du sol, afin qu’il soit un peu plus rugueux et que les sabots des bêtes accrochent davantage. Cela évite qu’elles se blessent".
De la même façon, les deux associés ont investi dans une cage de parage. Ce dispositif permet de contenir la vache pendant qu’un soin est apporté à ses pattes.
Thierry et Yann Bertot travaillent également sur l’âge auquel les génisses vont avoir leur premier veau. "En moyenne, cela oscille entre 24 et 36 mois. Là encore, si elles ont leur premier veau dès l’âge de deux ans, elles émettent du méthane moins longtemps sans produire de lait." De quoi limiter encore son empreinte carbone.
De son côté, Yann, le plus jeune des deux frères, s’occupe des 164 hectares de terre. Une cinquantaine d’hectares sert à l’alimentation du troupeau, le reste est consacré à la culture pour la vente. Ici encore, tout ce qui peut être vertueux pour la planète est testé.
"Notre père avait déjà cette démarche", se souvient Yann. "En ce qui concerne le blé par exemple, nous ne visons pas les meilleurs rendements du secteur. Nous préférons sélectionner des variétés plus rustiques, qui résistent mieux à la maladie et nous permettent d’éviter au maximum les produits de traitement."
Grâce à leur troupeau, Thierry et Yann fertilisent déjà en moyenne un tiers de leur surface cultivée, sans apporter d’engrais chimique extérieur. "Dès que l’occasion se présente, car notre métier dépend beaucoup de la météo, nous essayons de travailler le moins possible le sol", ajoute Yann. "Labourer une terre nécessite d’utiliser un tracteur et donc de consommer du carburant. Quand nous semons en direct, sans travailler le sol, nous divisons par deux notre consommation d’énergie fossile."
Deux fois par jour, le matin et en fin d’après-midi, Yann, Thierry et son fils, salarié de la ferme depuis juillet dernier, réalisent à tour de rôle la traite. L’activité est stratégique à tous les points de vue, notamment lorsqu’il s’agit de réduire la consommation électrique de l’entreprise. "Le refroidissement du lait représente à lui seul 50% des besoins électriques d’une ferme laitière", analyse Thierry.
Le lait sort du pis de la vache à 38 degrés. Avant d’être collecté par la laiterie, il est stocké dans un tank réfrigéré à 4 degrés pour limiter le développement des micro-organismes. "Chez nous, avant d’arriver dans le tank, le lait est déjà partiellement refroidi. Il passe dans un serpentin dans lequel coule de l’eau froide. Grâce à ce dispositif, le lait arrive en moyenne à 18 degrés dans le tank. De la même façon, l’eau se réchauffe au contact du lait et sert ensuite à abreuver les vaches à température ambiante", poursuit l’agriculteur.
D’après une note de l’IDELE, l’institut de l’élevage, publiée ce mois-ci, les 10% d’exploitations laitières les plus vertueuses en France émettent entre 0,78 kg et 0,87 kg équivalent CO2 / litre de lait. L’EARL Bertot peut-elle encore faire mieux ?
Dans quelques mois, le fils de Thierry, déjà salarié, s’associera avec son père et son oncle. Il sera rejoint d’ici quelques années par son cousin, Quentin.
Parmi les pistes envisagées pour réduire encore l’empreinte carbone de leur activité : travailler sur le stockage de CO2 notamment grâce aux couverts, c’est-à-dire ces plantes semées sur une parcelle entre la récolte d’une première culture et l’implantation quelques semaines plus tard de la suivante.
"En implantant certaines variétés végétales comme le trèfle, la vesce et l’avoine entre deux cultures, on capte de l’azote et donc on fertilise le sol. L’autre intérêt est de capter le CO2 de l’air et de le stocker dans le sol", détaille Quentin Bertot.
Or, ce stockage de CO2 entre dans le calcul du bilan carbone des agriculteurs. Un axe de développement qui pourrait donc permettre à terme à ces éleveurs laitiers de l’Eure de limiter un peu plus encore leur empreinte environnementale.
Author: Alex Velez
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